Pour notre projet concernant l’élaboration d’un court-métrage, nous avions pensé qu’interroger les gens serait intéressant. Il nous fallait multiplier les points du vue, croiser les opinions, débattre avec des inconnus. Agathe et moi sommes donc allées nous aventurer dans Montpellier pour discuter de notre projet. Je vous résume notre après-midi qui a tourné autour des questions suivantes.
Qu’est-ce
qui vous vient immédiatement à l’esprit quand on vous parle de liberté ?
La plupart nous a parlé de liberté d’expression,
de liberté de penser, de liberté de choix. La liberté de circulation aussi,
pouvoir se déplacer comme bon nous semble. Un esprit libre fait la liberté d’un
homme, mais n’oublions pas que la liberté physique est aussi importante. Chacun
d’entre nous peut décider de monter dans un avion, de prendre un baluchon, de
faire du stop et de s’en aller ailleurs. Le
monde entier est accessible à un citoyen français. Personne ne nous retient
jamais.
Nous avons aussi pu prendre conscience de la fragilité de
cette liberté. L’équipe de Charlie Hebdo a été tuée pour avoir dessiné. Des
journalistes sont tués pour vouloir établir la vérité. Des innocents sont tués
pour avoir pensé autrement. Seulement, le peuple français, notre nation plus
qu’aucune autre, se pose comme défenseur de la liberté. L’Histoire de
la France retrace l’Histoire de la liberté. C’est parce que des français avant
nous sont morts pour pouvoir s’exprimer, qu’aujourd’hui il nous est
impensable de devoir nous taire. A chaque français qu’on fera taire, dix
autres se lèveront pour crier leurs idées.
Les français râlent ? Ils ne sont jamais
d’accord ? Tant mieux, voilà notre richesse. Nous savons débattre. Nous
n’avons pas peur d’exposer nos idées. Certains les chuchotent, d’autres les
taguent sur des murs, d’autres encore créent des blogs ou participent à des
manifestions. L’important est de forger son idée, et d’en débattre pour la
façonner de la meilleure façon qui soit.
Adhérez-vous
à l’esprit Charlie Hebdo, dans le sens où on peut rire de tout, tout le temps,
avec n’importe qui ?
La plupart des interviewés a été catégorique : OUI.
Mais n’y-a-t-il pas de limites ? Il ne
devrait pas y en avoir. Un homme nous confiait qu’il était incapable de
rire de tout, mais qu’il était persuadé qu’il fallait le faire, que ceux qui en
avaient la force avaient ce devoir. On exige plus de tolérance, d’être plus
souple avec l’humour. Une femme nous a demandé comment savoir jusqu’où l’humour
ne peut plus être qualifié de tel. Elle demandait du respect. Certaines
personnes sont révoltées par les caricatures qu’osent faire Charlie Hebdo.
Notamment vis-à-vis de la religion. Elle nous confie « Quand je vois le
pape se faire enculer, je suis choquée. J’ai honte comme si on publiait des
photos de ma mère nue ».
La liberté de chacun s’arrête là où celle de l’autre
commence. Nous devrions pourtant pouvoir se moquer de tout. Le rire n’est-il
pas le propre de l’homme ? Certaines personnes acceptent que l’on rient d’elles,
de leur famille, de leurs amis, de leurs convictions, de leurs croyances. D’autres
pas. Alors, je vous le demande, comment faire ? Les gens libérés
devraient-ils arrêter de rire pour ceux qui sont moins tolérants ?
Peut-être. Peut-être pas.
Et l’attentat
à Charlie Hebdo, qu’en pensez-vous ?
« Ils auraient dû leur renvoyer des
caricatures! » s’exclament certains. D’autres baissent les yeux : « C’est
tellement triste ». Nous avons pu voir toute une palette d’émotions. La
tristesse souvent, l’indifférence quelques fois, la colère aussi. Comment ces
terroristes peuvent-ils se revendiquer musulmans ? Et la résignation.
Beaucoup l’avouent, les dessinateurs de Charlie Hebdo savaient qu’ils étaient
en danger. Après plusieurs procès, ils ont continué. Était-ce de la
provocation, ou simplement la revendication de leur liberté d’expression ?
Encore une fois, les avis divergent. Tout le monde s’accorde pourtant sur le
fait que ce n’est pas vraiment surprenant, qu’on pouvait s’attendre à des représailles.
Alors, c’est mérité ? « Bien sûr que
non ! Si on tuait chaque personne avec qui on ne s’entendait pas, il n’en
resterait pas beaucoup ! ». La violence ne résout rien. C’est
peut-être le seul moyen d’expression qui reste à ceux qui n’ont pas assez de
matière grise. On veut répandre la terreur, et ça marche. Les gens ont peur. Un
couple de Norvégiens nous confiaient qu’ils avaient parlé des attentats de Charlie Hebdo à leur
travail, mais que ces événements restait encore loin de chez eux. Pourtant, avec les attentats qui
se sont déroulés récemment au Danemark (visant un groupe de débat sur l’islamisme,
et tuant un caricaturiste suédois), les deux Norvégiens ont peur. La menace
se rapproche. Aujourd’hui, les terroristes ne visent plus seulement les Etats-Unis comme dans les années 2000. C'est le monde entier qui combat le terrorisme.
Pensez-vous
que tous ces événements ont eu une répercussion positive, ou négative sur les
amalgames ?
Un musulman nous disait avec dégoût : « Jamais
Allah n’a dit de faire du mal en son nom ». La religion est basée sur les notions de respect et d’amour. Voilà le cadre de la religion. Un
terroriste ne peut décemment pas parler au nom d’une religion si son but est de
répandre la haine. La religion, quelle qu’elle soit, catholique,
protestante, juive, musulmane, orthodoxe, hindoue, bouddhiste veut transmettre les valeurs de partage
et d’amour. Un vrai croyant ne commet ni de vol, ni de meurtre, encore
moins au nom de son Dieu.
Une chose m’a terriblement choquée. A chaque
fois que nous posions cette question à propos des amalgames, une grosse part des interviewés étaient gênés.
Ils n’osent pas employer les mots justes, par peur que ce ne soient pas les
bons, ou qu'ils soient mal interprétés. Les personnes d’origine magrébine ont été qualifiés par une jeune fille « des
gens qui viennent de Sud » ! Alors c’est ça, le débat que les attentats
ont ouvert ? Ne peut-on donc même plus parler clairement ? Quand je
leur repose la question avec des mots plus crus, ils semblent choqués. « A vos yeux, tous les
arabes sont-ils des terroristes ? » Les 'non' fusent de toute part.
Tous nous disent qu’ils sont très loin de commettre de tels amalgames, mais que,
malheureusement, la plupart des gens le font. C’est ici que cela devient amusant. Nous avons
interrogé entre 20 et 30 personnes. Aucun ne semblent confondre musulmans et
terroristes. En revanche, ils soutiennent que la société le fait. Alors
pourquoi personne ne nous a clairement dit qu’il n’aimait pas les arabes, qu’il
avait peur de se faire descendre à la kalachnikov dès qu’il sortait ? Je pense qu’il y a de moins en moins d’amalgame,
contrairement à ce que la société croit. Je pense que les personnes d’origine
arabe peuvent très bien s’intégrer, si c’est
ce qu’elles veulent. En quoi la couleur de notre peau changerait la nature
de notre cœur ?
Un groupe de jeunes d’origine arabe n’en
démord pas : les attentats auraient été perpétrés par les politiciens français,
par les médias ; et tout cela dans l’unique but de créer encore plus d’amalgames,
de mettre à part une certaine classe de la société. Ces cinq garçons là doivent
être assis sur des chaises pour discuter. Il faut éduquer la jeunesse pour
éviter ce genre de bêtises. Les écoles, les parents aussi doivent absolument organiser
des débats pour ouvrir les esprits. Ces gens-là se sentaient visés,
persécutés ! Dans notre lycée, Louis Feuillade à Lunel, nous avons eu la
chance incroyable d’avoir des enseignants qui ont organisé un débat géant dans
l’amphithéâtre. Tous les élèves – ici volontairement – se sentaient concernés,
et le débat d’idées était extraordinaire. En sortant, j’ai entendu certains élèves :
« C’était intéressant, ça a complètement changé ma façon de voir les
choses ». Il faut travailler sur les jeunes, car c’est notre
génération qui sera bientôt au pouvoir. Je ne dis pas que les adultes sont déjà
trop adultes et trop bornés pour changer de position, mais un esprit jeune est
malléable. C’est extrêmement dangereux. La théorie du complot s’installe vite
dans les esprits, et on pourrait aussi vite la balayer en discutant. Je vous
demande de parler autour de vous, de ne jamais éviter les débats par peur du
désaccord.
Montaigne a dit « Lorsqu’on me contredit, on n’éveille pas ma colère, mais
mon intérêt. » Vous pouvez tous éduquer les gens autour de vous, et vous le
devez.
Pensez-vous
que les conséquences des attentats à Charlie Hebdo, comme les marches du 11
janvier et les débats que cela a occasionné, ont eu des répercussions sur les
français ?
Voilà ce qu’il en ressort : les français
ont été choqués. La plupart du monde a été émue et touchée. La liberté d’expression
étant un pilier du patrimoine français, le fait que des gens soit tués, dans la
capitale française même, cela a été difficile. Personne ne s’y attendait. Nous
avons été attaqués sur notre territoire, pour détruire une des valeurs les plus
ancrées dans notre société. On aurait pu croire que les gens auraient été
effrayés. C’est pourtant l’inverse que nous avons découvert. Les français en
sortent plus forts, plus déterminés à défendre une valeur qu’ils croyaient
jusqu’ici acquise. La liberté ne nous est pas due, c’est un combat de tous les
jours.
Un jeune musicien nous a confié avoir été
profondément ému, comme beaucoup de gens que je connais, par la marche. En
effet, on voit la société comme vivant en groupes. Ce 11 janvier, tout le monde
était là. Tous les français, de droite ou de gauche, d’origine arabe ou
français de souche, gays ou hétéro, homme d’affaire ou vivant dans la rue,
jeune ou moins jeune, tout le monde a fait un geste. La France soudée. C’est
encore plus beau de savoir que les marches se sont faites dans le plus grand calme
et le plus grand respect. Personne n’a tenté de se battre, ou d’hurler.
Un homme que nous avons interrogé estimait qu’aller à cette marche était un devoir. Il le disait comme s'il aurait
été mal vu de ne pas y aller. C’est une vision assez négative des choses. J’aime
à penser que c’était un devoir de citoyen de soutenir cette cause si elle nous tient
à cœur. Personne ne viendrait vous tirer par le bras pour vous forcer à
manifester pour des idées qui ne sont pas les vôtres, surtout quand on parle de
liberté.
Pour finir, j’aimerais vous transmettre la
petite crainte qui animait les personnes que nous avons interviewées. En effet,
ce soudain élan de fraternité entre les français n’a pas duré. « Ça a duré
une ou deux semaines, puis les gens oublient ». Pourquoi oublier ce qui
nous relie tous ? Un homme nous a dit que c’était à nous de faire
perdurer la lutte pour la liberté. La flamme ne doit pas s'éteindre. Alors voilà mon discours, voilà notre blog. Voilà
notre cause. Nous nous battons pour ce que nous voulons que notre société
soit. Osez la liberté.
Sandra R
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